Les femmes trinquent... trop ?
Silvia
Galipeau
La Presse
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Un verre, deux verres, plein de verres. Les
statistiques sont sans équivoque : les femmes boivent de plus en plus, et
surtout, de plus en plus souvent. Comme les hommes ? Non. Différemment. Et
malheureusement, nous ne sommes pas tous égaux devant l'alcool. Ces excès ont
un prix : la santé. Notre santé. Attention, danger, préviennent les
experts.
Désolée d'être rabat-joie. Car soyons francs, c'est
exactement comme cela qu'on se sent, quand on touche ainsi à «notre drogue
préférée à tous», confirme Ann Dowsett Johnston, une journaliste de Toronto qui
prépare un livre sur la question à paraître à l'automne. «On aime bien se dire
que les gens qui ont un problème avec l'alcool, ce sont les autres, ces rares
soulons qui boivent sous les ponts...» Or, la réalité est tout autre.
Consommation
d'alcool
20 %
Des femmes boivent à l'excès
Pensez-y : d'après les derniers chiffres, 20% des
femmes qui boivent le font à l'excès. Lors d'une même soirée, certaines calent
plus de cinq consommations. Parfois plusieurs fois par mois. Vrai, les hommes
en font autant. Voire plus. Et ce, depuis longtemps. Sauf
que leur consommation
demeure stable. Chez les femmes, ces excès sont nouveaux : en 10 ans,
cette consommation à risque a grimpé de 30%.
Chez les jeunes, le binge drinking est encore
plus fréquent : près de la moitié des filles de 18 à 25 ans avouent
consommer à l'excès. Une statistique qui inquiète de plus en plus les
chercheurs, car malheureusement, on ne sait pas ce qu'il adviendra de ces
futures buveuses. S'abstiendront-elles une fois entrées sur le marché du travail ?
Quand elles voudront des enfants ? Rien ne laisse prédire un tel
ralentissement. Pour cause : entre 15 et 34 ans, les femmes ont tendance à
boire majoritairement à l'excès. Les buveuses modérées sont minoritaires, note
un rapport du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.
Quand on sait que l'on recommande aux femmes de ne pas
dépasser deux consommations par jour, voire trois, très occasionnellement,
«cinq verres, cela fait vraiment beaucoup d'alcool», souligne Gerald Thomas,
chercheur sénior au Centre.
«Et nos chiffres sont très clairs : les femmes sont en train de
rattraper les hommes, poursuit-il. Or à tous les points de vue, il est plus
néfaste pour une femme que pour un homme de boire de l'alcool.»
Risques accrus de cancer du sein
Plus néfaste ? Parce que les femmes ne
métabolisent pas l'alcool de la même manière que les hommes, qu'elles sont
différentes physiologiquement et du point de vue hormonal, les effets de
l'alcool sont par définition différents.
Le saviez-vous ? Probablement pas. Seules 1% des
femmes en sont conscientes : l'alcool est aussi un facteur de risque
important du cancer du sein. «Quinze pour cent des cancers du sein sont reliés
à l'alcool. Même un seul verre de plus par jour change vos facteurs de risque»,
reprend Ann Dowsett Johnston.
Un verre par jour augmente vos risques de 10%. Quatre verres ?
Vous quadruplez vos risques. En Angleterre, où la consommation des femmes est
bien documentée, les médecins ont vu apparaître de nombreux cas de cirrhoses
chez les jeunes filles.
«Même à l'adolescence, les jeunes filles sont déjà
dépendantes», remarque l'auteure. Les grandes buveuses sont aussi quatre fois
plus à risque de mourir d'une maladie du cœur. «C'est énorme, poursuit-elle. On
a toujours parlé d'alcool en termes de divertissement. Il faut qu'on voie enfin
la question de santé publique !»
Une question d’émancipation ?
Pour son livre (Drink : The Intimate Relationship
Between Women and Alcohol), Ann Dowsett Johnston a rencontré pas moins de
40 femmes, âgées de 14 à 84 ans. Objectif ? Leur parler d’alcool : de
leur petite et grande consommation, de leur petit verre pour relaxer, pour
s'amuser. De verre pour oublier, aussi. Et parfois, pour carrément se soigner.
«Boire est souvent perçu comme une question de libération
pour les femmes, analyse-t-elle. Les femmes ont voulu les mêmes jobs, les mêmes
salaires, bref, les mêmes occasions que les hommes. Et c'est très correct. Mais
boire comme les hommes?»
Est-ce un hasard ? Ce sont aussi les femmes
professionnelles les plus éduquées qui semblent les plus portées sur la
bouteille. «Et c'est fascinant, poursuit-elle. Nous avons vécu une évolution
sociologique énorme. Les femmes ont rattrapé les hommes à plusieurs égards.
Mais socialement, en termes de soins des enfants, il reste encore beaucoup de
chemin à faire.» Conséquence ? Plusieurs femmes apprécient, le soir, après
une journée au travail, d'ouvrir une bonne bouteille, pour relaxer avant de se
lancer dans leur «deuxième shift». «Et ça n'est pas nécessairement mauvais,
concède l'auteure. Si vous buvez pour relaxer, avec votre conjoint, en famille.
La question à poser est la suivante : est-ce que vous ouvrez et vous
finissez la bouteille ? Est-ce tous les jours?»
D'après
ses recherches, bien des femmes boivent ainsi socialement sans excès pendant de
nombreuses années. Et puis un jour, pour toutes sortes de raisons, une
difficulté au travail, la perte d'un proche, ou une séparation, elles sombrent
dans l'excès. Et c'est là, précisément, qu'il faut poser la vraie question :
«Buvez-vous pour les mauvaises raisons ? »
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